Ce dimanche 20 juillet 1969, Gabrielle Russier pousse le portail d’une vieille bâtisse de briques rouges, La Recouvrance, à Boulin, près de...
Ce dimanche 20 juillet 1969, Gabrielle Russier pousse le portail d’une vieille bâtisse de briques rouges, La Recouvrance, à Boulin, près de Tarbes. La jeune professeure de français a quitté Marseille en train pour rejoindre ce centre psychothérapeutique installé au pied des Pyrénées. Dans quelques heures, trois hommes vont marcher sur la Lune.
Alors que le monde entier a les yeux rivés sur la mission d’Apollo 11, elle tourne et retourne dans sa tête les événements des dernières semaines. L’épreuve du procès, le 10 juillet, où sa relation amoureuse avec un de ses élèves de 17 ans a été livrée en pâture aux débats d’un tribunal. L’incompréhension à la lecture des mots sévères du jugement qui, le lendemain, l’a condamnée pour « enlèvement et détournement de mineur ». Le lâche soulagement face à la peine prononcée – un an d’emprisonnement avec sursis – qui devait lui permettre de bénéficier de l’amnistie présidentielle.
Puis, quelques heures plus tard, l’abattement, la terreur même, en découvrant que le procureur avait fait appel de la décision et que tout était à recommencer. Après les parents de Christian Rossi, à l’origine de la plainte, « c’est maintenant les représentants de la société qui m’en veulent », confie-t-elle à un ami. « Il n’y a plus d’avenir », écrit-elle à un autre.
« Un roman de Stendhal ou de Balzac »
Dans ce coin de campagne pluvieux, tout ce qu’elle a voulu fuir ne tarde pas à la rattraper. Sa fidèle femme de ménage, Josephina, réexpédie à La Recouvrance les courriers qui s’entassent dans sa boîte aux lettres. Des lettres d’inconnus, pour la plupart émus par cette affaire qu’ils ont découverte dans les journaux.
Certains ont lu ce court billet signé de Jean-Marie Rouart, publié le 17 juillet à la Une du Figaro : « Cela commence avec un soupçon de mélancolie comme un roman de Stendhal ou de Balzac. Une femme mûre aime un jeune homme. Elle a 30 ans. Du temps de Balzac, elle ne pourrait plus prétendre à grand-chose. Aujourd’hui, l’âge l’a à peine effleurée. Elle est professeur de lettres. Pour un collégien rêveur, c’est la Sanseverina (…) Un jour, c’est le mois de mai, tout le monde est ivre. L’univers raisonnable n’est plus qu’un souvenir. Ils lancent ce dernier pavé sur le monde des adultes. Ils s’aiment, il n’a que 17 ans (…) Est-ce le nouveau roman de Christiane Rochefort, la version hollywoodienne de Phèdre ou de Chatterton ? Non. C’est simplement une histoire vraie. Il n’y manque que la fin. Dans un livre, l’auteur l’eût faite différente. “Jugée à huis clos par le tribunal de Marseille, Madame X. a été condamnée à un an avec sursis.” La vie ne sait pas terminer les histoires en beauté. »
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